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Livre - Page 14

  • Compagnon de route

    Sur le Camino francés, entre Leòn et Santiago, effectué en solitaire j'avais emmené ma liseuse avec quelques ouvrages de Jean Rolin qui s'est révélé être un excellent compagnon de route.J'avais déjà lu Savannah avant de partir et Le traquet kurde, son dernier ouvrage, un peu auparavant (cf. Chronique du 24 février).

    Jean Rolin comme il l'explique lui-même n'écrit pas de romain, ni d'essai, il écrit tout simplement, il fait des trucs à partir de ce qu'il décide de vivre.

    Dans Savannah, il décrit le voyage mémoriel qu'il fait sur les traces  d'un séjour en Louisiane qu'il avait effectué avec Kate, la fille de Jane Birkin, suicidée depuis, avec laquelle il vivait à l'époque. Kate avait enregistré avec son téléphone des petites vidéos de ce séjour et Jean Rolin essaie tout simplement de refaire au plus près les visites, les circuits, les rencontres... C'est très attachant.

    Dans Terminal frigo, Jean Rolin part à la découverte des ports français. Ayant eu à connaitre plusieurs de ces ports dans ma vie professionnelle, j'ai évidemment trouvé ce livre très attachant, en particulier ce qui se passe à Nantes et à Dunkerque au moment de la Réforme du statut des dockers, les dissidences de la CGT, les intimidations...cette histoire a encore aujourd'hui des retentissements et certains acteurs cités dans l'ouvrage sont toujours actifs. les descriptions des installations portuaires du port de Bordeaux sont très biens vues, et malheureusement toujours actuelles...

    Dans Ormuz, Rolin nous promène dans le fameux détroit, lieu stratégique s'il en est, en compagnie d'un individu qui se prétend athlète de haut niveau et qui veut traverser le détroit à la nage. Il charge l'auteur de faire des repérages qui ne manquent pas d'inquiéter l'Iran, les émirats... on voyage, c'est bien. Quant au succès de la traversée, je vous laisse le suspens...

    Enfin dans La Clôture, Rolin entrecroise la biographie du Maréchal Ney, dont la statue est à côté de la Closerie des Lilas, pas très loin du lieu de son exécution, et le monde interlope situé entre les portes de Saint Ouen et de La Chapelle. Ouvrage écrit avant la crise actuelle des réfugiés mais des réfugiés, des SDF, et des prostituées, il y en déjà qui habitent dans des piliers du Boulevard périphérique, et eux aussi, Rollin nous en livre la biographie. C'est parfois à couper le souffle toute cette misère à nos portes qu'on refuse de voir et que l'on a renoncé à combattre.

  • Jan Karski

    Jan Karski (1914-2000) est connu comme l'auteur de rapports psur l'extermination des juifs en Pologne à l'attention des gouvernements britannique et américain dès 1942, rapports qui lui ont été demandés par le gouvernement polonais en exil dans le cadre des ses activités de résistance.

    Claude Lanzmann a fait connaitre Karski avec son film Shoah puis avec le rapport Karski, dans lequel il livre la totalité du témoignage qu'il a recueilli.

    Yannick Haenel a publié Jan Karski et obtenu pour ce roman le prix Interallié.

    Arthur Nauzyciel a adapté ce livre au théâtre en insistant comme Haenel sur le silence de Karski pendant 35 ans. On voit donc successivement une relation du témoignage de Karski dans Shoah, puis un résumé des rapports de Karski lu par Marthe Keller en off, illustré en vidéo par des plans de camps et enfin, Jan Karski lui-même qui témoigne, c'est l'aspect le plus romancé. Une danseuse à la fin du spectacle exprime la souffrance des corps et la mort.

    Jan Karski a été un témoin puis s'est tu pendant 35 ans, professeur aux Etats-Unis, jusqu'à ce qu'il réapparaisse dans Shoah, la gorge nouée, à peine capable de s'exprimer lui qui a vécu toute ses années obsédé par l'incpréhension dont il estime avoi été l'objet, convaincu que ce n'est pas l'Allemagne nazie qui a éliminé les juifs mais le monde entier, y compris les alliés qui se seraient montrés à tout le moins des complices passifs de la shoah. Sur ces points la querelle entre historiens reste vive et on pourra se reporter à Internet pour en prendre la dimension.

    Deux heures quarante de théâtre donc, hier à Bordeaux deux heures quarante de monologue, certains spectateurs se lassent rapidement et quittent la salle, mais la très grande majorité reste, écoute ce témoignage bouleversant, et s'interroge sur sa transposition aujourd'hui : qu'est ce que nous refusons de voir aujourd'hui? Telle est la question.

    A voir au TNBA jusqu'au samedi 28 avril et en tournée.

  • Enlightenment Now de Steven Pinker

    Pas encore traduit en français mais très facile à lire. 600 pages dont 75 de notes et beaucoup de graphiques pour montrer que malgré le pessimisme ambiant il y'a toujours et encore des raisons d'espérer, à condition de persévérer dans esprit des lumières.

    Steven Pinker montre qu'il faut s'appuyer sur la raison, la science et l'humanisme, les trois moteurs qui n'ont cessé de faire progresser l'humanité.

    Steven Pinker aime quantifier, une antenne ne fait pas une tendance, il faut toujours essayer de mesurer pour comprendre, c'est d'ailleurs la devise de l'insu.

    Et Pinker s'attache à montrer que tout va mieux  en termes d'espérants" de vie, de santé, d'alimentation, de richesse, d'inégalités, d'environnement, de paix, de sûreté, de terrorisme, de démocratie, de droits, de savoir, de qualité de la vie, de bonheur, de menaces existentielles...

    Regardons en arrière, objectivement et allons de l'avant muni de notre capacité à comprendre, à progresser, à fraterniser, c'est la leçon optimiste de ce livre.

    Ceux qui ne lisent pas l'anglais ou ne le souhaitent pas peuvent lire l'avant dernier ouvrage de Steven Pinker, traduit en français sous le titre : "la part d'ange en nous" où il démontre la diminution de la violence sous toutes ses formes sur longue période

  • Stoner de John Williams

    Voici un livre paru en 1965, pas du tout d'actualité mais toujours actuel.

    Je l'ai découvert sur Internet en tombant par hasard sur une critique d'Une Vie entière de Seethaler dans l'Irish Times, vous voyez le détour? (cf. Chronique du 14 février 2018).

    Mais un détour qui en vaut la peine. Dans les deux cas le roman est le récit de la vie du personnage principal, et dans les deux cas c'est une vie ordinaire, marquée par beaucoup d'échecs.

    William Stoner, né à la fin du XIX siècle dans le Missouri, dans une famille d'agriculteurs pauvres, se destine initialement à l'agriculture, il va à l'université, en section agriculture, hébergé chez des cousins éloignés pour lesquels il travaille la terre lors de ses temps libres, logé dans un recoin du grenier.

    Et puis dans son cursus, il découvre la littérature, il est émerveillé, c'est une révélation. il abandonne l'agriculture, la perspective de reprendre la ferme de ses parents, réussit ses études, devient professeur dans son université de Columbia ou il est coopté, ce qui lui évite d'avoir à se demander ce qu'il va faire de sa vie.

    Sa vie va apparemment être une suite d'échecs ; il se marie mais réalise au bout d'un mois que ce mariage sera un échec, il va cohabiter jusqu'à la fin de ses jours avec une femme qui lui mènera la vie dure, l'éloignera de sa fille, le relèguera au fond de la maison... A l'université, trop intègre, il se fera un ennemi de son chef de département ce qui lui interdira tout promotion. il va connaitre un grand amour avec une de ses étudiantes mais ils décideront de mettre fin à cette ydille trop compliquée à assumer...

    Et pourtant, Willy Stoner a t-il été aussi malheureux qu'on peut le penser? Sans doute pas. il a eu un beau métier, a eu plaisir à enseigner la littérature anglaise, à dialoguer avec ses étudiants, a vécu une belle histoire d'amour...

    C'est quoi le bonheur?

    J'ai lu l'ouvrage en anglais, sur ma liseuse. Très facile, l'écriture est limpide, le vocabulaire accessible. Il existe une traduction en Français d'Anna Gavalda, chez Babélio.

  • Une vie entière

    Voilà un livre formidable, dans la lignée des vies minuscules de Pierre Michon

    Robert Seethaler nous avait déjà enchanté avec Le tabac Tresniek, il récidive ici d'une tout autre manière.

    La vie d'Andreas Egger est simple. C'est un montagnard, né en 1898, abandonné très jeune par une mère décédée de ces excès, recueilli par un oncle fermier en montagne qui va le maltraiter au point de le rendre boiteux. A sa majorité Egger va le quitter et partir travailler, pas dans les champs, il ne veut pas regarder vers le bas, mais vers le haut, et donc dans la société qui construit un téléphérique, apporte la modernité.

    Andreas rumine beaucoup ses pensées, toujours pour finir par agir, survivre, se démener, trimer, sans se plaindre. il n'est pas très adroit avec les femmes, mais ils aime Marie, et va finir après beaucoup d'approches empruntée par l'épouser et construire une petite maison , toute simple. et puis vous verrez...

    Sachez encore qu'en 1942, il va être envoyé par les nazis sur le front du Caucase, subir la torture, la faim, toujours stoïque, jamais révolté, résigné peut-être, mais ce n'est pas le bon mot.

    Ce sera sa seule sortie de sa vallée avec celle à la fin de sa vie ou il prendra l'autobus pour aller découvrir son trajet pour en revenir aussitôt voyant qu'il n'y avait rien à voir...

    Une vie entière, toute simple, intérieure, une grande capacité d'adaptation à son environnement, le souvenir de sa bien aimée, un être profondément humain.

     

  • Où atterrir?

    Un peu compliqué à lire et pas de conclusion péremptoire. Bruno Latour, philosophe  sociologue, anthropologue, 70 ans, un de nos grands penseur, peu médiatique est convaincu et assez convaincant dans sa présentation de nos interrogations contemporaines. Il essaie de relier les trois défis actuels : la globalisation ou mondialisation, comme on veut, fruit de la dérégulation, la montée vertigineuse des inégalités, et le changement climatique.

    Le grand changement, c'est le changement climatique, pour la première fois de son histoire, l'homme est confronté à un acteur, la terre, qui réagit à ses actions, parce que la terre est devenue trop petite pour permettre à toute l'humanité d'accomplir son rêve, vivre comme les occidentaux...

    C'est à l'occasion de l'Accord de Paris sur le climat que tous les pays réunis se sont rendus compte que ce ne serait pas possible, qu'il allait falloir réagir, collectivement. Mais d'aucuns ne l'entendent pas ainsi, l"Amérique de Trump entend continuer comme avant, les riches, qui accaparent l'essentiel des revenus et du capital de l'activité économique entendent bien continuer ainsi, pas question de partager... et les pauvres, lassés d'être pauvres, se mettent en marche et migrent pour s'approprier ce qu'ils peuvent.

    Le rêve, l'histoire, d'une société en croissance qui profiterait à tous est un rêve, la terre n'en peut plus et nous montre ses limites. 

    Le rêve d'une repli sur soi, identitaire, à l'ancienne à l'abri de frontières est tout aussi chimérique.

    Pour Bruno Latour, l'Europe, telle que nous l'avons construite est justement une solution, une recherche de compromis, de tâtonnements, à condition qu'elle soit ouverte. Et là, je conseille vivement, de lire et relire le dernier chapitre, que l'on peut lire indépendamment du reste de l'ouvrage, c'est magnifique.

  • Au revoir là-haut

    Prix Goncourt 2013. Je ne l'avais pas lu. Et puis à l'occasion de la sortie de Couleurs de l'Incendie, la suite, j'ai entendu à la radio et vu Pierre Lemaitre à la télévision parler de ses ouvrages, il y a eu la sortie du film, que j'irai voir, c'est programmé fin février. Et donc je me suis plongé dans l'édition de poche. Avec délectation.

    C'est du vrai roman, le premier chapitre, qui raconte à la veille de l'armistice du 11 novembre 1918 l'ensevelissement d'Albert puis son sauvetage par Edouard, les deux poilus dont le destin va se trouver lié est époustouflant. Et tout le livre vous tient en haleine.

    Bien sûr l'histoire est peu crédible même si elle s'appuie pour partie sur des faits réels : la construction dans chaque commune, chaque arrondissement, de monuments aux morts, l'exhumation puis la création de cimetières militaires et donc la logistique nécessaire à mettre en ouvre, avec ses marchés publics, ses ententes, la corruption, le destin tragique des gueules cassés, la misère des démobilisés...

    C'est donc un roman fantastique, rocambolesque, féérique, aux personnages attachants même si ce sont des voyous qui nous mène de rebondissements en rebondissements pour nous décrire une fabuleuse escroquerie. Très agréable semaine en sa compagnie.

  • Bordeaux, business et grande vitesse

    Cet ouvrage est paru l'an dernier aux éditions Mollat. A l'occasion de la mise en service en juillet de la nouvelle voie à grande vitesse qui met Bordeaux à deux heures de Paris.

    André Delpont qui a été un aménageur à Lille pour Euralille puis à Bordeaux pour Euratlantique est un spécialiste du développement économique et des grandes opérations urbaines.

    L'ouvrage, sans prétention littéraire, n'entend pas présenter une thèse mais simplement recenser les acteurs qui font que Bordeaux est passé du statut de la belle endormie à celui de ville start-up, la meilleure destination touristique mondiale, celle ou la majorité des cadres français veulent vivre.

    De Bordeaux on connait le vin depuis longtemps, les girondins, depuis dix ans le miroir d'eau et depuis peu la cité du vin. Saint Emilion, le bassin, la dune du pilat. Nos auteurs vont plus loin, ils détaillent les arcanes de l'économie spatiale et aéronautique, de Bordeaux tech, du monde des start-ups, de tous ceux qui les accompagnent, ils racontent la candidature de Bordeaux pour devenir en 2013 capitale européenne de la culture, les compromis passés entre les deux Alain, Juppé et Rousset, le premier ayant mis en place la bonbonnière et le second apporté les bonbons... lisez et vous comprendrez.

    L'inventaire des forces vives est exhaustif, il y a les portraits des hommes et des femmes qui ont tenté l'aventure et la poursuivent. Les défis restent immenses pour que la métropole deviennent effectivement millionnaire, apporte emplois et cadre de vie à ses habitants, rayonne sur son territoire et stimule ses dauphines que sont AgenAngoulême, La Rochelle, Périgueux, les tire aussi vers le haut

    Une présentation de l'ouvrage par ses deux auteurs en cliquant sur le lien suivant

    https://www.youtube.com/watch?v=MyzIewC2tPI

    Le livre est d'abord destiné aux Néo-Bordelais et leur permettra d'accélérer la compréhension de leur nouvel environnement mais les bordelais eux-mêmes y découvriront beaucoup de choses qu'ils ignorent...

  • Conquistadors

    Voilà, j'arrête avec Vuillard, au moins pour le moment.

    Conquistadors est un livre ambitieux, à la langue superbe, Vuillard a inconstestablement un grand talent pour écrire, court et vif comme dans L'ordre du hour, prix Goncourt, mais aussi long et épique comme ici avec ce portrait, ce récit de la conquête du Pérou par Francisco Pizarre, batard illettré qui à la tête de deux cent hommes va anéantir une civilisation, celle des incas.

    Peut-être même qu'il en abuse de ce talent, pour livrer un récit peut-être trop long de cette triste épopée que fut la vie de Pizarre.

    L'avidité est au centre de cette épopée, l'avidité de l'or, seule raison seul motif pour justifier ces longues chevauchées le long des côtes, dans les déserts, sous la pluie, dans la jungle, les moustiques, le froid, la faim. Pour justifier, tous ces massacres, ces viols, ces tortures, ces trahisons, ces manoeuvres et pour finir cette guerre civile entre espagnols.

    Derrière l'avidité, Vuillard entend dénoncer le capitalisme, les découvertes,le colonialisme,  le commerce, c'est une constance de ses ouvrages.

    Ces hommes ne sont pas aux ordres de l'Espagne, ni de l'église même s'ils s'en réclament pour justifier leurs actes, ils sont aux ordres de leurs instincts sauvages, malveillants. Paradoxalement peut-être, les indiens, les victimes, ne sont pas vraiment traités, comme s'ils n'avaient pas d'existence réelle, ils sont surpris par les chevaux, les armes des espagnols, les maladies qu'ils apportent, mais il paraissent sans détermination, sans résistance, des moutons qu'on massacre avec allégresse le plus souvent.

    Malheur aux vaincus, c'est le dernier chapitre, tous les protagonistes sont vaincus, Atahualpa, rapidement, ses successeurs fantoches désignés par Pizarre, Almagro, qui voulait sa part et ne l'obtiendra pas et Pizarre lui-même, après avoir une nouvelle fois médité sur l'Espagne de son enfance , son petit village, près de Tolède, qu'il aurait mieux fait de ne jamais quitter.

     

  • Taba-Taba

    Voilà , c'est peut-être le meilleur roman de Patrick Deville! Un des plus attachants en tous cas. Grâce à sa tête Simone, qui conservait tout dans les pièces du fond de sa petite maison de Mindin sur la rive droite de l'Estuaire de la Loire, face à Saint Nazaire, Deville nous restitue au travers de l'histoire de ses parents et de ses grands parents, de leur périple au fil des guerres à travers la France , notre histoire, ce qui nous lie.

    Je conseille de lire d'abord La Peste et le Cholera qui nous conte la vie d'Alexandre Yersin, il y a un lien entre les deux livres que je vous laisse découvrir.

    il y a aussi une anecdote que les habitants du quartier des chartrons à Bordeaux apprécieront, celle ou Deville raconte une des ses conversations avec le poète André Velter au festival de la poésie qu'organise chaque année La Librairie Olympique.

    Il y a de très belles pages sur Saint-Nazaire que tous les amoureux des ports apprécieront.

    Et puis le grand-père, comme le mien, était gymnaste et avait fait le bataillon de Joìnville. L'Atmosphère de la drôle de guerre puis de l'exode est très bien rendue.

    Ce qui n'empêche pas Deville de temps à autre de nous emmener dans toutes les parties du monde qu'il parcourt depuis tant d'années et de nus faire partager ses conversations sous toutes les latitudes. On l'envie mais que ne fait-on pareil? Une vitalité étonnante!