Salle Montaigne du Centre culturel français à Beyrouth. Il est 19 heures. L'animateur nous aura prévenu : deux heures et quarante minutes de film sans dialogue à l'exception de quelques prières et de quelques chants psalmodiés. En route pour une expérience cinématographique exceptionnelle, une plongée dans un univers de renoncement.
Nous partîmes soixante et en l'absence de renfort nous nous vîmes une trentaine en arrivant au port...
Il s'agit du film "le grand silence - die grosse stille", de l'allemand Philippe Gröning, tourné pendant six mois à la Grande Chartreuse dans l'Isère.
C'est d'abord une expérience pour soi-même : il faut rester assis dans un siège finalement assez confortable pendant 160 minutes à regarder un film, sans dialogue, mais aussi sans scénario, sans musique, plongé dans le quotidien de moines qui consacrent eux toute leur vie à la prière, à la méditation, à quelques corvées, un seul repas pris en commun le dimanche, mais à écouter un texte religieux, sans parler à son voisin, une seule sortie hebdomadaire à l'extérieur, où l'on peut se parler, mais de quoi?, des repas pris dans sa cellule, seul, des agenouillements, des signes de croix, amples et lents, des cloches qui sonnent...
Tous les gestes deviennent lents, ils ont forcément le temps, les chants sont décevants, on espère de la belle musique, des chants grégoriens, nenni!, quelques psalmodiements...la plupart des offices se déroulent en solitaire dans les cellules. Pas de production locale, a priori d'autres moines se consacrent à la fabrication de la fameuse chartreuse, pas de recherches théologiques, que de la comtemplation, de la prière, du renoncement.
On en vient à envier la vie des frères, le jardinier qui est aussi couturier, le coiffeur, le frère bedeau...
Sont ils heureux? est ce qu'ils prient vraiment où bien est ce qu'ils atteignent un stade proche de l'hébetude. Comment font ils pour ne pas devenir fou?
Un seul témoignage à la fin du film d'un vieux moine devenu aveugle, et aussi sourd, qui nous explique que si Dieu a permis tout cela c'est pour son bien et que plus la mort se rapproche plus il est heureux de se rapprocher de Dieu qui est infiniment bon!
Voià, tout cela est sans doute inutile mais cela force le respect, sincèrement, et puis les paysages sont magnifiques, l'hiver rude, le poêle à bois, le printemps, la fenêtre ouverte, l'été, tout ce monde extérieur deviné.
Pour ceux qui connaissent un peu La Chaise-Dieu, on prend plaisir à noter les éléments communs, le jubé, les voûtes du choeur, les stalles en bois sculpté, les miséricordes, les cloches, les longues travées du cloître, l'hiver et le vent.
Tout cela dans un silence assourdissant, car dans ce silence, le moindre bruit prend une valeur exceptionnelle, il ne se passe rien, pendant toute une vie, si ce n'est de temps un temps, le rappel à Dieu d'un collègue, on ne nous le montre pas, ce doit être la fête. Intérieure!