Héros et tombes
L’oiseau se satisfait de quelques graines, de vers de terre, d’un arbre où nicher et de grands espaces pour voler ; sa vie se déroule de sa naissance à sa mort au rythme d’une aventure qui ne sera jamais déchirée par le désespoir métaphysique ni par la folie. L’homme, en se levant sur ses deux pattes de derrière et en transformant de ses mains la première pierre effilée en hache, a jeté les bases de sa grandeur et l’origine de son angoisse. Avec ses mains et les instruments fabriqués par ses mains, il a érigé un édifice puissant et étrange qui a pour nom culture et qui a marqué le début de son grand déchirement. Il a cessé à jamais d’être un simple animal mais ne sera jamais le dieu que son esprit lui suggère. L’homme est un être duel et malheureux, qui se déplace et vit entre la terre des animaux et le ciel de ses dieux, qui a perdu le paradis terrestre de l’innocence, sans avoir pour autant gagné le paradis céleste de la rédemption.
Cette citation résume sans doute assez bien le propos d'Ernesto Sabato (1911-2011), dès 1961, sans doute le seul romancier contemporain capable de maitriser à la fois les dédales de la mécanique quantique et ceux du surréalisme.
Ce roman met en scène une jeune femme énigmatique, Alejandra qui tente d'échapper au destin tragique de son héritage familial, sans y parvenir, un jeune homme, Martin, à peine sorti de l'adolescence, qui éprouve une passion de tous les instants pour Alejanda mais celle-ci le repousse à intervalles réguliers sans explications, pour se protéger..
Et il y a la ville de Buenos-Aires, tentaculaire, qu'on aimerait connaitre pour mieux en apprécier le climat littéraire qu'en donne Sabato. Mais cette ignorance ajoute un peu plus au mystère ou à la magie de ce roman, très, très bien écrit, philosophique, historique, fataliste et qu'il me faudra sans doute relire pour l'apprécier encore davantage.